Ce jeudi matin, j'ai envie de vous parler des mamans solos.
D'abord parce que c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur, ma mère nous ayant élevé quasiment seule, mon frère, ma soeur et moi. Je suis donc bien placée pour connaître les difficultés, de diverses natures, que cela implique d'élever seule trois enfants, par exemple.
Je sais aussi le courage que cela demande, surtout quand il n'y a pas de papa pour partager la garde (j'ai perdu mon papa très jeune), et donc pas de relais, à part le soutien occasionnel de mes grands-parents maternels, quand ils étaient de passage en France.
Qui sont-elles ?
Elles représentent 85 % des près de 2 millions de familles monoparentales que compte la France, soit une famille sur cinq, c'est dire si le phénomène des mamans solos est tout sauf anecdotique.
Précarité de l'emploi, difficultés financières (20 % vivent en dessous de la pauvreté), absence de vie sociale, voire de vie amoureuse, solitude parfois, inquiétudes au sujet de l'avenir ("qu'adviendra-t-il de mes enfants si je viens à disparaître ? "), les mamans solos cumulent les handicaps.
Pourtant, elles font preuve d'une combativité sans égal. Comme elles le disent elles-mêmes : elles n'ont pas le choix car tout dépend uniquement d'elles ! Ainsi, envers et contre tout, elles sont de tous les combats, s'interdisant de baisser la garde et même, de tomber malades. Elles sont sans conteste les reines de l'organisation et du système D : partage des tâches avec les enfants, réseau social en béton armé, bons plans, solidarité.
Trois mamans solos témoignent :
Pour préparer ce billet, trois mamans solos ont accepté de témoigner. Je voulais piocher ici et là des bouts de leur témoignage pour illustrer différents points du billet mais je trouve leurs témoignages si riches qu'avec leur accord, je préfère les partager avec vous dans leur intégralité (quitte à ce que le billet soit un peu long...).
Leur histoire, leur parcours, parfois semés d'embûches, valent bien davantage que de grands discours ou de longs conseils (un conseil de plus) sur ce qu'il faut faire, comment et pourquoi. Et n'étant pas moi-même maman solo, je ne me sens pas suffisamment légitime pour donner des "conseils", même bienveillants, et préfère donner la parole à celles qui vivent cette situation au quotidien, parfois depuis des années...
Pour démarrer, voici le témoignage très touchant de Carine :
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Carine, j’ai 33 ans bientôt et je suis maman d’une petite fille de 6 ans ½. Je suis séparée depuis janvier 2012 avec une grosse mésentente, et donc des difficultés notables dans l’organisation de notre foyer monoparental. Je travaille à temps plein.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez, ou que vous avez rencontrées, en tant que maman solo ?
Les difficultés les plus importantes à mon sens sont le stress et la fatigue, dus au souhait de tenir le cap pour deux. En effet, même si le couple rompu était très peu stable, au niveau éducation et attentes de l’enfant, nous étions deux à « collaborer » en situation de crise avec l’enfant. Là, ce n’est plus le cas. Et dans une séparation, les situations de crise, il y en a !
Après, il y a bien sûr (mais en ce qui me concerne, je trouve cela secondaire) les travaux quotidiens un peu plus « musclés » comme rentrer le bois, monter une étagère, faire une cabane à la petite. Je mets plus de temps pour le faire mais je finis toujours par y arriver, et quand c’est vraiment trop difficile (mécanique, par exemple), j’ai deux amis hommes sur lesquels je peux compter.
Il y a aussi ces moments où l’enfant est couché ou chez papa, et où l’on se retrouve seule à la maison sans pouvoir discuter entre adultes, ce manque de relations d’adulte à adulte. Comme les trois jours de vacances que j’ai passés avec ma fille près de la mer cet été... J’aime ma fille du plus profond de mon cœur, mais voilà, passer la journée à faire des pâtés de sables, puis le manège, puis le repas en extérieur et le soir encore toutes les deux devant la TV, ce sont de merveilleux moments … le premier jour puis le deuxième … et le troisième, cela commence à être difficile. J’ai honte de vous dire cela mais malheureusement c’est ce que j’ai ressenti, alors qu’à trois c’était toujours plus vivant.
Parvenez-vous à prendre du temps pour vous ? Si oui, à quels moments et comment y parvenez-vous ?
Depuis peu, j’ai décidé de prendre deux heures pour moi tous les mardis soirs pour aller à la piscine avec une amie. En fait, le mardi soir, ma fille va dormir chez mes parents pour que le lendemain, elle puisse dormir le matin. Car toute la semaine, elle se lève à 6h 45 pour aller à la garderie et me permettre de me rendre à mon travail à 50 km de chez nous. Toutefois, je culpabilise énormément et j'ai décidé d'emmener ma fille avec moi une fois sur trois. L'amie qui m'accompagne est maman de deux enfants, elle reste donc peu avec moi à la piscine (45 mn environ) et retourne à son foyer. La deuxième heure de piscine est donc entièrement à moi mais elle parait aussi plus longue que la première ! Toutefois, je me force à rester et à continuer car il me faut à tout prix retrouver une vie sociale et rencontrer de nouvelles personnes.
Après, j’aimerais essayer de sortir mais voilà, chaque fois que vous demandez à sortir et donc que l’on vous garde vos enfants, vous avez toujours un petit pincement au cœur (en tous cas, c’est mon cas). Quand ce n’est pas le regard assassin de votre «garde d’enfant» ( ami, famille ou autre ) qui semble vous dire : « va t’amuser pendant que ta fille pleure dans mes bras… » ! De plus, ma fille est très exigeante avec moi et j’ai droit à une crise si je la laisse un soir sans l’emmener. Même si celle-ci est en week-end chez son papa ! J’ai beau lui expliquer que je dois moi aussi vivre ma vie d’adulte, les crises de larmes arrivent aussitôt et le dialogue se rompt à coup sûr. Ce qui me fait culpabiliser encore plus... Si bien que je ne sors jamais sans elle.
Qu'est-ce qui vous pèse le plus aujourd'hui ?
De ne pas exister en tant que femme.
Je suis maman à 300% mais du coup, je n’existe plus en tant que femme. C’est l'un des motifs qui a fait que mon couple a explosé, et aujourd’hui, il me pèse encore plus du fait que le papa de ma fille a déjà refait sa vie alors qu’il a fait énormément de mal autour de lui. Un sentiment d’injustice.
Au tout début de notre vie à deux avec ma fille, j’étais plus épanouie, je me sentais libre. Bien sûr, la vie à la maison s’en ressentait mais le calme était là. Aujourd'hui, entre les frasques de son père, les charges, les ennuis au travail et la fatigue, le ton a changé. Je m’en veux de ne pas arriver à gérer et à rendre ma fille heureuse. Elle pleure beaucoup avec moi, elle est à fleur de peau. Et pourtant elle me dit haut et fort qu’elle m’aime, tout en me rejetant à la figure que je suis la plus méchante quand je lui dis non à quelque chose. C’est un sentiment d’échec et j’ai du mal à m’en sortir. Et j’angoisse de ne pas y arriver.
Qu'avez-vous mis en place pour mieux vous organiser ?
Je m’appuie beaucoup sur ma maman qui ne travaille pas, deux fois par semaine pour récupérer ma fille à l’école. Je prends le train pour aller travailler, ce qui me permet de faire des économies. J’abandonne l’idée d’avoir un extérieur impeccable et me consacre plus à mon intérieur (qui n’est tout de même pas au top!).
Nous avons affiché le tableau des tours de garde en cuisine pour s’y retrouver. Et je note tout sur mon agenda ! Et une chose que nous n’aurions jamais fait avant : ma fille transporte mes numéros de téléphone au coup de son doudou.
Parvenez-vous à trouver quelques avantages, finalement, à être maman solo ?
Vu ma situation auparavant, à part la présence masculine nécessaire à ma fille, rien n’a vraiment changé. Un avantage en effet : c’est moi qui choisis et je n’ai pas à me justifier auprès qui que ce soit. Quand nous sommes invitées, nous sommes toujours à l’heure, plus besoin d’attendre qui que ce soit. Passées ces bêtises, je dirais plutôt que tout ce qui nous semble être un avantage d’être maman solo peut très vite devenir un inconvénient. Oui j’apprécie ma liberté, mais elle me pèse aussi. Oui, j’ai tous les câlins de ma fille pour moi, mais j’ai aussi toutes les crises… Vous voyez ce que je veux dire ?
En ce qui me concerne, j’ai besoin d’être maman solo maintenant pour évacuer mes années de couples chaotiques, mais je ne veux pas finir mes jours seules. Je ne pense pas avoir assez de recul et de vécu en tant que maman solo pour en apprécier réellement les avantages (s’il y en a réellement ?!)
Quels conseils donneriez-vous aux autres mamans solos ?
Être maman, c’est déjà une lourde responsabilité. Alors, maman solo, imaginez ! Mais si vous n’avez pas peur de remonter vos manches, alors vous y arriverez. N’hésitez pas à demander de l’aide. Parlez, c’est important. Partagez aussi, vos rires, vos larmes… peu importe ! Si votre enfant est blessant dans ses propos, ne vous accrochez pas aux mots mais seulement au câlin qu’il viendra vous faire deux minutes après.
La mienne me dit que je suis méchante dix fois par jour, parce que j’ai voulu conserver des règles à la maison pour lui laisser un cadre d’éducation, alors qu’à l’opposé, chez "papa", elle fait ce qu’elle a envie quand elle a envie, si bien que je suis la vilaine et la méchante…mais si vous lui demandez qui elle veut au quotidien, c’est … maman.
J’en ai pleuré de ces mots, et pourtant, la psychologue qui suit ma fille me l’a dit, et un autre professionnel vous le dira certainement, l’enfant déverse sa colère sur le parent qui est le plus stable, le plus droit, celui qui donne l’éducation. Votre enfant vous aime, que vous soyez maman organisée ou pas.
Soyez "maman aimante", et chargez votre cœur d’amour de vos enfants pour supporter la solitude.
Merci Carine pour ce précieux témoignage.
Demain, vous retrouverez un second témoignage, celui de Christelle, jeune avocate de 34 ans, maman de 2 enfants de 9 et 6 ans.
Bon jeudi à vous et à demain !