Voici quelques temps déjà que j'avais envie d'aborder avec vous ce sujet certes tendance, mais qui révèle, au-delà de l'effet mode incontestable, un vrai malaise et un profond besoin : celui de déconnecter définitivement ou temporairement des outils numériques qui ont envahi notre quotidien et polluent de plus en plus notre rapport à l'autre.
Je vous préviens de suite, ce sont des questions qui me passionnent depuis très longtemps et je risque quelque peu de m'étendre sur le sujet (promis, je vais tâcher de faire court) ! Le technostress, l'infobésité, l'hyperconnexion, autant de thématiques que j'aborde presque systématiquement dans mes formations en entreprises. J'anime par ailleurs une formation de deux jours sur le sujet : Reprendre la main sur sa messagerie et maîtriser le technostress.
Il faut dire aussi qu'un cadre, à titre d'exemple, reçoit aujourd’hui un volume d’informations 10 fois supérieur à ce qu’il recevait il y a 15 ans et produit environ 10 % de données de plus chaque année. Aucune entreprise n’échappe désormais à la surcharge informationnelle.
Le développement des nouvelles technologies et l'infobésité croissante ont profondément modifié nos comportements au sein de l’entreprise ainsi que notre rapport au temps.
Tous les salariés, en particulier les salariés cadres, sont aujourd’hui littéralement submergés, inondés sous les emails qu’ils ne parviennent plus à maîtriser. Pour tenter de faire face, ils consacrent un temps de plus en plus important à trier et traiter leur messagerie, en arrivant de plus en plus tôt le matin ou en partant de plus en plus tard le soir, voire en les traitant chez eux avant de partir au travail ou le dimanche soir pour bien démarrer la semaine.
Ces nouveaux comportements, cumulés à l’effacement des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle avec l’usage presque généralisé des smartphones, génèrent ce que l’on nomme aujourd’hui le technostress : une pression croissante, ininterrompue et un sentiment continu d’urgence pouvant conduire jusqu’à l’épuisement professionnel.
Face à ce défi majeur en terme de Qualité de vie au travail, de nombreuses entreprises se sont organisées en menant une réflexion collective sur l’usage des TIC et leurs modes de communication en interne et en externe, et en adoptant le plus souvent une Charte d’utilisation des outils informatiques et nomades.
Chez Orange, par exemple, il a été défini que "les mails envoyés le soir ou le week-end n'attendent pas de réponse immédiate".
Néanmoins, agir individuellement paraît essentiel, voire indispensable, pour reprendre la main sur sa messagerie, se réapproprier la gestion de son temps comme l’organisation de son travail, et maîtriser à son propre niveau le technostress.
Mais je reviendrai dans un prochain billet sur les stratégies qu'il est possible de mettre en place au bureau pour ne plus se laisser envahir par sa messagerie.
Car aujourd'hui, c'est de Digital Detox dont j'ai envie de vous parler, dans un billet en deux temps :
- un premier temps pour comprendre un peu mieux le phénomène,
- et un deuxième temps, dans un billet à paraître ce samedi (la suite de celui-ci), pour évoquer quelques pistes de solutions et stratégies pour s'interroger et reprendre la main sur sa relation aux nouvelles technologies.
I'm ready to Unplug !
Etes-vous un(e) Digital Détox ? Faites-vous partie des 62 % des français qui ont envie de se déconnecter (Etude Havas Media Septembre 2012) ?
Et de quoi parle-t-on au juste ?
Selon l'étude Digital Detox - Tendance déconnexion de l'agence Dagobert (février 2013), "les Digital Detox sont des personnes qui ressentent l'envie de se déconnecter par besoin de renouer avec la "vraie vie", peur d'être accro, déjà droguées au web ou juste devenues anti-Internet par lassitude, les raisons sont nombreuses et poussent un grand nombre de personnes à la déconnexion".
Même les ados, ultra connectés par excellence, s'y mettent. Je viens d'ailleurs d'apprendre un peu par hasard que ma grande de 16 ans vient de désactiver son compte Facebook. Surprise et curieuse de sa démarche (alors même que je rédige ce billet), je suis allée lui demander les raisons de cette soudaine déconnexion et je vous livre ici sa réponse on ne peut plus laconique : "Parce que ça me saoûlait." Soit. Dubitative, j'oscille entre fierté et méfiance ;-)
Vous avez peut-être entendu parler du livre de Thierry Crouzet, qui a publié en 2012 aux Editions Fayard J'ai débranché. Comment revivre sans Internet après une overdose.
Epuisé par 15 ans d’hyperactivité en ligne, ce gourou des réseaux sociaux, auteur de nombreux ouvrages sur les nouvelles technologies, est victime d’un burn-out numérique en février 2011. Pensant être victime d'une crise cardiaque qui se révèlera être une grosse crise d'angoisse, il se retrouve hospitalisé et entame une véritable cure de désintoxication qui va durer 6 mois, contraint de disparaître du net pour se sevrer.
La réponse de ce « retraité de l’Internet » : freiner, ralentir sa vie, écarter l’inutile.
Ou encore, plus récemment, celui de Susan Maushart, Pause, publié aux Editions Nil en 2013 et édité en 2014 en poche chez Marabout :
"Comment trois ados hyperconnectés et leur mère (qui dormait avec son smartphone) ont survécu à six mois sans le moindre média électronique".
Les accrocs au portable, qui confondent leur dernier smartphone avec leur doudou, ont désormais leur nom : ce sont des nomophobes. Terme apparu au Royaume Uni il y a quelques années, la "nomophobie" touche principalement les personnes, et elles sont nombreuses, qui ne supportent pas d'être déconnectées, privées de leur portable.
Les accros aux réseaux sociaux peuvent également être victimes d'un autre type de syndrôme : le syndrôme FOMO (Fear of Missing Out), littéralement la peur de manquer quelque chose.
Aux Etats-Unis, certains ultra connectés sont même prêts à payer très chers une cure de déconnexion, en allant par exemple se désintoxiquer chez reSTART, le premier centre de traitement résidentiel américain spécialisé dans les addictions à Internet.
Le point de vue de Yohann Rippe, du blog Detox Digitale
Pour étayer mon billet, je suis allée interviewer Yohann Rippe, l'un des créateurs du blog Detox Digitale, qui se définit comme le Blog référence de la tendance du Digital Detox.
Comment vous est venue l’idée de créer ce blog ?
Tout d’abord, nous sommes une bande d’amis. Cela fait presque 2 ans que l’on s’intéresse à cette tendance du fait de nos propres expériences. Tout a commencé autour d’un verre où l’on remarquait que chacun était sur son téléphone et que le but initial d’être ensemble était absorbé par nos Smartphones. De plus, chacun étant un jeune professionnel de la génération Y, les outils digitaux sont pour nous indispensables. Nous avons constaté que la barrière entre vie privée et vie professionnelle devenait floue et que nous passions beaucoup trop de temps sur internet.
Nous avons donc pris conscience de cette hyper-connexion. Aussi, nous avons compris qu’il s’agissait d’une réflexion personnelle de son utilisation et que ce que nous pouvions faire était de la sensibilisation à travers un blog. C’est à dire, parler le plus possible de ce débat dont la société a besoin.
Comment expliquez-vous ce besoin, qui s’exprime de plus en en plus fort, de déconnexion ? Phénomène de mode ou tendance de fond ?
Justement, ce besoin de plus en plus fort de déconnecter provient d’une prise de conscience d’une sur-utilisation de la part des personnes. Surtout, les médias commencent à s’emparer de ce sujet.
Le principe de se déconnecter n’est pas nouveau. Les vacances sont initialement un moment pour se déconnecter du quotidien, échapper au stress de la routine, faire une rupture avec son environnement habituel. Il en a toujours été ainsi. Sauf qu’aujourd’hui, les appareils connectés sont partout avec nous et tissent une sorte de cordon ombilical qui nous lie à notre travail, notre maison, notre famille, nos amis, etc.
Pour ces éléments-là, je dirais qu’il s’agit d’une tendance de fond. Et je crois que la déconnexion qui n’est d’ailleurs pas l’inverse de la connexion, va s’affirmer de plus en plus. Des moments de déconnexions temporaires vont s’enchainer avec des moments de connexions. Les deux vont cohabiter ensemble afin qu’il existe un équilibre qui depuis presque 10 ans n’avait jamais été aussi discuté qu’aujourd’hui.
Par contre, il peut y avoir un effet de mode, mais cela reste à confirmer sur les mois et années à venir. Nombreux sont ceux à surfer sur la vague du mot « detox » (dont nous !). Il existe du thé detox, des séjours, des tas de produits, car ce mot est à la mode et fait vendre. Certains prennent la tendance de la digital detox et la mélange à celle du vintage, du rétro, du local food, etc. On peut y voir de nombreuses associations en terme de marketing. À voir ensuite si cette tendance de la digital detox ne deviendra pas galvaudée et ne s’inscrira pas dans une tendance de déconnexion plus simple.
Pourquoi finalement est-ce utile, voire nécessaire, de déconnecter pour mieux reconnecter, selon vous ?
Premièrement, il existe une multitude de raisons qui peuvent être parfois personnelles. En tout cas, de nombreuses études l’attestent et nous avons pu en faire l’expérience avec l’équipe, les moments de déconnexion permettent de faire diminuer le stress, pas forcément dans un premier temps, mais lorsqu’on en prend l’habitude. Cela nous permet de nous octroyer des moments de silence, des moments plus créatifs où l’on est plus dans le multitâche, mais où l’on va véritablement en profondeur des choses. Après des périodes de déconnexion, on revient plus serein, plus concentré et surtout plus productif. On va plus à l’essentiel dans nos actions, car on a pu en faire le bilan et prendre du recul.
Ça paraît simple dit comme ça, mais ça ne l’est pas forcément. Je me souviens au début lorsque je laissais mon téléphone à la maison et partais faire une balade le week-end, je touchais en permanence ma poche pour m’assurer que mon téléphone était là ou s’il vibrait. Parfois, ce sont des petits déclencheurs comme celui-ci qui amène à la prise de conscience.
Enfin, auriez-vous un ou deux conseils à donner à celles et ceux qui envisagent de réguler leur rapport aux outils numériques et qui ne savent pas encore comment s’y prendre ? Y a t’il des écueils à éviter ?
La première des choses est de réguler la présence de son téléphone dans sa vie intime, car oui, qui n’est jamais allé aux toilettes avec ? Certains dorment même avec leur précieux objet dans le lit. La première des résolutions que j’avais entreprise était de bannir mon téléphone de la chambre. Il me servait de réveil, mais c’était un prétexte pour regarder ses e-mails, aller sur Facebook, regarder quelques VDM au détriment de la personne à vos côtés si tel est le cas. Par conséquent, je me suis acheté un réveil classique (mode rétro).
Un autre conseil est celui de télécharger une application qui permet de gérer son utilisation et de la paramétrer.
Ces deux éléments peuvent être un bon début d’une nouvelle hygiène de vie digitale".
Un grand merci à Yohann (Twitter : @Detox_Digitale) pour cette mini interview !
Appel à témoins pour un documentaire sur la Détox Digitale pour Canal +
Heureuse coïncidence, j'ai été contactée la semaine dernière par un journaliste de l'agence Capa qui travaille avec Pierre-Olivier Labbé sur un documentaire pour Canal plus qui s'intitule "Digital Detox".
Pendant 90 jours, Pierre Olivier Labbé se déconnecte des outils numériques (smartphones, tablettes et réseaux sociaux) pour mieux gérer les flux d'informations générés par ces outils. Dans ce documentaire, une partie sera consacrée aux salariés et à l'infobésité, menant dans certains cas extrêmes au burn-out.
Pour mener à bien leur projet, ils sont à la recherche de salariés qui sont dans une situation de stress au travail, dépassés par le flux d'informations incessant généré par ces outils numériques, résidant sur Paris, et qui seraient susceptibles de témoigner dans ce documentaire.
Si vous habitez Paris, que vous vous reconnaissez dans cet appel à témoins et que vous êtes tentés par l'expérience, merci de me transmettre vos coordonnées par mail, je transmettrai au journaliste.
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Quant à nous, on se retrouve samedi pour la suite de ce billet, dans lequel je partagerai quelques-unes de vos nombreuses (et précieuses) contributions sur le sujet, mais aussi quelques stratégies toutes simples pour reprendre le contrôle sur vos technologies.
A samedi, donc ! Et en attendant, portez-vous bien.